Qu’est-ce qu’une analyse cycle de vie (ACV)?

1 septembre 2022 par
Qu’est-ce qu’une analyse cycle de vie (ACV)?
eqlosion
Jasmine Bitar est ingénieure en énergie et en environnement. Titulaire d’un Master de l’ENSTA, une école d’ingénieur à Paris, elle s’est ensuite spécialisée en analyses de cycle de vie, bilans carbone et stratégies environnementales. Avant de rejoindre eqlosion, elle a d’abord travaillé chez Deloitte pendant deux ans, puis chez Quantis deux ans également.

Grâce à son approche transversale de la transition écologique, Jasmine Bitar a déjà pu accompagner de nombreuses entreprises et organisations actives dans divers secteurs (textile, énergie, industrie lourde, alimentaire, public, etc.) dans leurs prises de décisions stratégiques.

ACV ou bilan carbone - Une ACV est une méthode d'évaluation d'un produit ou service incluant plusieurs critères, dont les Gaz à Effets de Serre (GES). Un bilan carbone d'un produit ou service est une ACV monocritère, qui ne regarde que les GES émis sur le cycle de vie.


Un bilan carbone d'une entreprise, d'une entité ou d'une commune dresse un inventaire des émissions de Gaz à Effet de Serre directes et indirectes, en reprenant une approche similaire à l'ACV mais avec un périmètre un peu différent.


Pouvez-vous expliquer en quelques mots en quoi consiste une ACV?


L’analyse cycle de vie (ACV) est une méthode qui permet d’évaluer l’impact environnemental d’un produit, d’un procédé, d’un service ou d’une entreprise durant tout son cycle de vie.


Les ACV ont été développées à la fin du XXe siècle suite à une prise de conscience écologique. Pour réduire l’empreinte des activités humaines sur la nature, il a fallu trouver un moyen de mesurer cette empreinte de manière quantitative, mais aussi de retracer quelles activités étaient responsables de quels impacts pour savoir où agir. Dans une ACV, toutes les étapes du cycle de vie d’un produit (ou d’un service) sont prises en compte, de l’extraction des matières premières jusqu’à la fin de vie de ses composants, en passant par ses potentielles transformations, sa livraison et son usage. L’ACV est donc une méthode multi-étape mais aussi multicritère, car elle cherche souvent à mesurer plusieurs impacts que ce soit sur le climat, sur les ressources en eau, les matières premières,  la biodiversité mais aussi sur la santé humaine. L’objectif final est de pouvoir comparer rationnellement deux manières de faire ou deux produits, comme l’exemple classique du véhicule thermique avec un véhicule électrique.


Quel est par exemple l’intérêt pour une entreprise de faire une ACV de l’un de ses produits?


Plusieurs raisons peuvent motiver une ACV pour une entreprise. La plus simple va être de comprendre l’impact environnemental d’un produit, potentiellement pour le situer par rapport aux concurrents ou l’améliorer. L’éco-conception est d’ailleurs de plus en plus valorisée par les consommateurs. Un autre motif sera de se conformer aux réglementations en vigueur - quand celles-ci existent - ou alors d’anticiper des obligations futures. Par exemple, il y a une obligation de déclarer l’impact de certains produits dans le milieu du bâtiment. L’analyse de cycle de vie est aussi un outil utilisé en communication. Une entreprise qui souhaite communiquer de manière chiffrée ou comparative sur les impacts environnementaux de ses produits, et ainsi se positionner par rapport à la concurrence, le fera sur la base d’une ACV. Sans cela, elle prend le risque d’être accusée de greenwashing. Finalement, l’ACV est un important outil d’aide à la décision dans le sens qu’il permet de comparer plusieurs options. Une entité pourra par exemple déterminer quel matériau, quelle gamme de produits ou quel type de véhicules performera le mieux en termes d’impacts environnementaux et se positionner en cohérence.


Pouvez-vous expliquer comment se construit une ACV? 


Il faut avant tout bien définir les objectifs de l’analyse puis le champ de l’étude. Ce dernier ne devra occulter aucun impact-clé du cycle de vie, mais tout de même poser un périmètre qui définit les limites de l’analyse. Une fois cette première étape effectuée, il faut ensuite collecter les données qui seront analysées. Ces dernières sont celles fournies par le client, appelées données primaires, complétées par des données secondaires publiques ou issues de bases de données. C’est sur cette base que nous pouvons construire le modèle, calculer et analyser les résultats, puis tirer les conclusions de l’étude.


Il arrive souvent que les résultats nous incitent à affiner les données et le périmètre. Dans une démarche d’éco-conception, les conclusions d’une ACV vont inciter à re-concevoir le produit initial qui sera alors à son tour à nouveau évalué jusqu’à atteindre des réductions d’impact significatives. C’est une méthode très itérative, où chaque itération vise à améliorer la précision des résultats ou les impacts d’un produit éco-conçu.


Quelles sont les principales difficultés rencontrées lors de la réalisation d’une ACV?


La première est de réussir à bien cadrer l’étude. Comme je l’ai dit précédemment, il faut définir en amont de l’analyse ce que nous allons regarder et mesurer, et avec quelles données. Comprendre les enjeux liés au domaine sur lequel nous travaillons et prendre le temps de définir ce périmètre et ses objectifs est vraiment capital pour bien commencer une ACV.


Il y a aussi une subtilité importante. Nous n’étudions pas un produit en soi, mais la fonction qu’il fournit. Prenons par exemple un produit de nettoyage deux fois moins polluant à quantité égale que celui du concurrent mais également deux fois moins efficace. Il sera alors comparé à efficacité égale dans une ACV et n’aura pas une empreinte plus basse par surface nettoyée. Cet aspect de fonction doit être bien gardé en tête et être transmis au client.


Une autre difficulté tient au fait que certaines chaînes de valeur ou certains cycles de vie sont très complexes. Un cycle de vie peut impliquer de nombreuses parties prenantes, beaucoup de transformations, ou des utilisations et des fins de vie très variées. Cette complexité est encore renforcée si le cycle de vie s’étend sur plusieurs pays (matières premières importées, transformation dans plusieurs pays, distribution à échelle mondiale, etc.). Il peut dans ce cas être difficile d’obtenir les données et de les modéliser. Il faudra parfois prendre des hypothèses simplificatrices ou, au contraire, tester différents scénarios.


Comment interpréter les résultats d’une ACV? Quelles sont les limites?


Il y a toujours des incertitudes autour des résultats d’une ACV. Elles peuvent être liées d’abord aux données utilisées dans l’étude. Même si ces dernières sont collectées auprès du client, il peut toujours y avoir des biais de mesures ou des variations statistiques. Des incertitudes peuvent également être liées aux bases de données ou aux méthodes de calcul utilisées. Même si elles correspondent à l’état actuel de la science de l’ACV, cela reste des modèles. D’autres incertitudes encore peuvent concerner les hypothèses qui sont prises pour pallier l’absence de données. Puis à cela s’ajoutent évidemment les potentielles erreurs humaines qui peuvent avoir lieu dans la saisie des données, dans le calcul, ou encore dans l’exclusion de certaines composantes du système.


Au-delà des erreurs de résultats, il peut également y avoir des biais liés aux choix méthodologiques. Dans le cas par exemple d’une technologie gourmande en ressources, si seul le bilan CO2 est pris en compte, et que le impact sur l’épuisement des ressources ne l’est pas, toute comparaison de cette technologie avec une autre sera incomplète.


Pour finir, certains impacts sur l’environnement ne sont encore que peu étudiés, ne sont pas linéaires ou ont des effets de seuil (accélération des dommages au-delà d’une valeur- seuil de dégâts). L’ACV est une méthode qui ne couvre pas encore tous les impacts sur l’environnement. Elle ne représentera donc pas forcément tous les impacts de manière exhaustive. Par exemple, la communauté ACV cherche encore à prendre en compte les pollutions aux microparticules plastiques ou encore sur l’extinction de certaines espèces animales.


Existe-t-il des normes ou des labels spécifiques pour les ACV? Qui peut réaliser une ACV? Faut-il avoir une formation spécifique?


La pratique de l’ACV est régie par les normes ISO 14040 et ISO 14044, qui en donnent les grands principes. On peut les suivre totalement (ACV Iso-conforme, potentiellement vérifiée par des experts externes), ou simplement s’en inspirer (ACV simplifiée, alignée avec les principes des normes ISO). Il existe également des méthodologies et des référentiels plus détaillés, issus des agences environnementales nationales ou régionales. En Europe, c’est la méthodologie harmonisée Product Environmental Footprint (PEF), établie par la Commission Européenne, qui est très reconnue par les entreprises et la communauté ACV. S’aligner sur ce référentiel et le revendiquer est un gage de crédibilité.


Les contraintes qui régissent une étude ACV dépendent des usages que nous souhaitons en faire. Si nous voulons simplement faire un calcul par curiosité, l’ACV peut se faire sans formation spécifique. Si, au contraire, une grande entreprise souhaite communiquer sur l’impact de son produit en le comparant avec celui d’un concurrent, il faudra que son ACV soit ISO-conforme, réalisée avec des méthodes récentes et vérifiée par des pairs pour que cette communication soit fiable.


Existe-t-il des subventions pour financer une ACV et si oui quelles sont les démarches à entreprendre pour les obtenir?


Il n’existe pas de subvention pour réaliser une ACV uniquement. Par contre, le programme Reffnet permet d’inclure en partie une ACV dans le soutien qui est proposé. Le projet doit toutefois également inclure la recherche de solutions pour réduire les impacts négatifs et leur mise en application. Le canton de Vaud propose également une subvention pour la mise en place d’une stratégie de durabilité pour les PME vaudoises. Dans ce cadre, l’ACV de l’entreprise (ou le bilan carbone de l’entreprise) peut être partiellement subventionné. Là aussi, le mandat doit être plus large et inclure la mise en place d’une stratégie de durabilité et un plan d’action.


Pouvez-vous donner un exemple d’ACV que vous avez réalisée et préciser les résultats/difficultés qui en ont découlé? Pouvez-vous raconter une anecdote?


Bien sûr! J’ai eu la chance de faire des ACV dans divers secteurs et aussi bien pour des technologies très innovantes que pour des produits très basiques. Je me souviens d’une étude pour laquelle je devais modéliser une boisson en poudre. Une discussion avec le client concernait le besoin d’utiliser ou non du lait pour diluer sa boisson car, le lait ayant un impact climatique important, cela changeait les conclusions de l’étude. Voilà un exemple de débat que j’ai pu avoir sur la définition du périmètre.


Je me souviens également d’une autre étude portant sur les impacts et l’éco-conception d’une mission spatiale. Ce sujet me faisait vraiment rêver et il montre que l’ACV s’applique vraiment à tout.


Souhaitez-vous ajouter quelque chose ou aborder un point supplémentaire?


L’ACV est un outil incroyable qui tend à être de plus en plus standardisé et donc plus facile à automatiser. La méthode est d’ailleurs de plus en plus utilisée dans la prise de décision et les stratégies d’entreprises, soit telle quelle, soit par le biais d’empreintes d’entreprise et de stratégies climatiques qui se basent sur la même logique et les mêmes données.


Mais il y a un tel travail dans l’interprétation des résultats et le choix des données et hypothèses pertinentes que les spécialistes ont encore du travail devant eux ! Il ne faut pas oublier qu’une empreinte environnementale reste un modèle, voué à être affiné, amélioré et commenté. Ce n’est pas une mesure absolue.